EDGING
2013
Création Festival Les Inaccoutumés,
La Ménagerie de Verre, 19 et 20 Novembre 2013.
EDGING: Sexual technique of arriving to a climax, then purposefully interrupting stimulation in order to delay a moment of release.
HIKIKOMORI (“pulling inward, being confined”): a Japanese term to refer to the phenomenon of reclusive adolescents or young adults who withdraw from social life, often seeking extreme degrees of isolation and
confinement.
LASER: Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation” The catastrophe is not coming, it is here. We are already situated inside of it.
When the world is holding itself together through the infinite management of its own collapse it is useless to wait for a breakthrough. In fact, to go on waiting becomes madness.
That we are deriving pleasure from the repetition of our habits in the midst of the catastrophe is what makes this repetition into a ritual. Our own desperate art work.
La scène est entièrement couverte par un entrelacs complexe de câbles électriques. Capillarité des désirs, bondage, ramification sensorielle et technologique dans une société où le rapport au monde passe désormais par des signaux qui courent dans des fils conducteurs. Avec leurs accessoires et tenues SM comme des armures, les deux interprètes entrent dans un rituel chorégraphié tout en retenue et minutieusement écrit, une transe extatique où chaque mouvement est entravé, à la limite de la douleur et du désir. C’est la définition du « edging » : une pratique sexuelle consistant à atteindre un point culminant de l’excitation puis a volontairement interrompre la stimulation dans le but de retarder l’orgasme. Retarder le moment où… Danser au bord du précipice, au bord de l’orgasme. Tenir, retenir pour ne pas tomber, ne pas sombrer dans la folie sexuelle, la folie du monde.
Car le monde que laisse entrevoir EDGING est un monde qui court à sa perte, un monde qui aurait perdu la tête mais qui continuerait sa course sans jamais sauter pour de bon. Retenir son souffle, ralentir ses gestes, suspendre les corps. Ce rituel hypnotique ne masque pas qu’il n’y a pas d’issue. Comme dans La Bête aveugle (The Blind Beast) de Yasyzo Masumura, dont Guillaume Marie revendique l’influence, EDGING est confiné dans un espace claustrophobe à l’intérieur duquel les deux interprètes se cherchent avant que n’arrive pas la catastrophe. L’atmosphère jusque-là sourde se fait plus oppressante. Le sexe ne suffit plus, le décor s’assombrit.
La musique originale de Kazuyuki Kishino porte la pièce de bout en bout, de la pulsation cardiaque et du tremblement de chair jusqu’au chaos, comme une succession de crises, d’états bordeline. A la limite, encore. Mais la catastrophe n’arrive pas, elle est là. Nous y sommes déjà, sans pouvoir pour autant franchir le pas vers un nouveau monde. Et là, à cet endroit, il n’y a plus de place pour la transcendance. Il n’y a plus de place pour un quelconque dieu, plus de place pour le monde d’après.
C’est cette frontière, inaccessible et immatérielle, qui est symbolisée par les quelques minutes de déferlement laser qui mènent à la fin de la pièce. Déluge psychédélique, changement de dimension, fin d’un monde et jubilation technologique, le laser d’EDGING est à l’image de la folie destructrice des hommes. Il déferle violemment et n’épargne rien ni personne, y compris le public. Il ne laisse plus rien que des corps épuisés, blessés mais consentants, comme si un nouveau désir pouvait émerger de la douleur, de la souffrance, du chaos et du néant.
David Dibilio, Journaliste, programmateur pour le Jerk off Festival, responsable danse au Point Éphémère (Paris)
Le corps et l’esprit
Edging, c’est cette pratique qui consiste à contrôler l’orgasme de soi ou d’une autre personne, notamment en le retardant, pour le rendre plus intense. C’est de cette idée qu’a émergé cette métaphore chorégraphique, qui se joue de nos attentes et de nos désirs. Aux sons d’une partition pulsationnelle (la sexualité est affaire de chair), les corps des deux danseurs, Guillaume Marie – également chorégraphe – et Suet Wan Tsang, entrent dans un rituel au ralenti, et un rien sadomasochiste, au milieu d’un enchevêtrement de câbles semblable à un système nerveux (la sexualité n’est-elle pas aussi affaire d’intellect ?). Avant que ces oscillations chorégraphiques faites de frustration n’émerge une transe physique et lumineuse, extase attendue mais qui surprend pourtant avec une force inespérée.
Par Thomas Lapointe, Journaliste, Rédacteur en Chef de la Revue d’Art Contemporain ENTRE